
Commençons par une fable…
Une vingtaine de chimpanzés sont isolés dans une pièce où se trouve une banane en haut d’une échelle. Dès qu’un singe commence à escalader l’échelle, les autres reçoivent automatiquement une douche froide.
Rapidement, les chimpanzés apprennent qu’ils ne doivent pas escalader l’échelle s’ils veulent éviter d’être arrosés. La douche est ensuite désactivée, mais les chimpanzés conservent l’expérience acquise et ne tentent pas d’approcher de l’échelle.
Un des singes est remplacé par un nouveau. Lorsque ce dernier s’approche de l’échelle, les autres singes l’agressent violemment et le repoussent. Lorsqu’un second chimpanzé est remplacé, lui aussi se fait agresser en tentant d’escalader l’échelle, y compris par le premier singe remplaçant.
L’expérience est poursuivie jusqu’à ce que la totalité des premiers chimpanzés qui avaient effectivement eu à subir les douches froides soient tous remplacés. Pourtant, les singes ne tentent toujours pas d’escalader l’échelle pour atteindre la banane. Et si l’un d’entre eux s’y essaye néanmoins, il est puni par les autres, sans qu’aucun ne sache pourquoi cela est interdit bien qu’aucun n’ait jamais subi de douche froide.
Précision : cette expérience n’a jamais existé.
S’il était possible de poser la question aux singes pour quelle raison ils frappaient celui qui veut monter à l’échelle… la réponse pourrait être : »Je ne sais pas. C’est comme ça qu’on fait ici. »
Nous descendons bien du singe, non ? 🤪😂
Nous savons tous que l’inconscient accompagne notre existence. Développé par C.G. JUNG, l’inconscient collectif désigne les fonctionnements humains communs, partagés, liés à l’imaginaire.
Bien sûr, ce que je viens de dire est un raccourci – très très raccourci – de ce concept.
Parmi les experts d’Adeact, nous avons une équipe de psychanalystes et psychologues cliniciennes qui supervisent des professionnels /professionnelles s’interrogeant sur leurs pratiques. Cette équipe pourrait parler bien mieux que moi de l’inconscient.
A travers cet article, je souhaite aborder quelques grilles de lecture qui éclairent la part, le rôle, les impacts, que l’inconscient occupe dans les représentations individuelles et collectives au sein des Organisations que nous accompagnons.
Inconscient et vie dans les Organisations
« On sait qu’il produit dans la vie sociale des phénomènes de règles intériorisées, ses effets persistent même si les causes ont disparu. Ses forces ont une logique propre. » dit Eugène Enriquez (https://www.techno-science.net/glossaire-definition/Eugene-Enriquez-page-3.html).
Il en est de même dans une Organisation laquelle, selon Bénédicte Costedoat-Lamarque (Agir sur les leviers invisibles pour transformer les organisations : Biais cognitifs, modèles mentaux, inconscient du système, culture d’entreprise… Editions Dunod, 2024), possède des fonctionnements inconscients qui sont affectés par des ensembles de croyances, de valeurs, d’émotionnel, de normes et de comportements sous-jacents. Ainsi, les traits de personnalité, les expériences passées …, d’un leader influent sur l’organisation.
Eugène Enriquez évoque 7 niveaux d’analyse, qu’il nomme « instances inconscientes », qui façonnent le fonctionnement collectif et les comportements individuels, à savoir :
- L’instance mythique
- Fondée sur des récits héroïques et des figures tutélaires (ex. les fondateurs), elle établit des valeurs et suscite identification et admiration.
- Un excès d’identification entraîne des comportements sacrificiels et un épuisement psychique (burn-out).
- L’instance sociale historique
- Régule l’instance mythique en imposant des règles idéologiques et des limites, en instaurant des rapports de domination.
- Favorise la stabilité et la cohérence, mais peut engendrer conformisme et frustration.
- L’instance institutionnelle
- Codifie les normes et impose des structures de pouvoir et de justifications de pouvoir, exigeant soumission et subordination.
- Garantit la continuité de l’organisation mais peut mener à une rigidité oppressive ou des conflits internes.
- L’instance organisationnelle (au sens strict)
- Traduit les règles institutionnelles en procédures et en pratiques opérationnelles, limitant l’autonomie et la liberté d’expression.
- Privilégie l’efficacité et la standardisation au détriment de la créativité, pouvant entraîner des comportements répétitifs et pathologiques (harcèlement, sabotage).
- L’instance groupale
- Espace de production et de contestation, structuré autour d’idéaux et projets communs, fournis ou proposés par les groupes eux-mêmes.
- Peut osciller entre massification (perte d’individualité) et individualisme exacerbé (compétition acharnée), menaçant la cohésion du groupe.
Le leader doit veiller à garder un équilibre médian entre reconnaissance individuelle et esprit d’équipe.
- L’instance individuelle
- Chaque individu adapte et intègre les exigences de l’organisation selon ses propres motivations et désirs.
- L’individu oscille entre conformité et dissidence (absentéisme, conflits, enthousiasme excessif…), témoignant de tensions entre lui et l’organisation.
- L’instance pulsionnelle
- Vise la satisfaction sans limite des individualités de l’Organisation.
Génère des tensions entre aspirations personnelles et contraintes collectives, entre recherche de nouveauté et résignation.
- Vise la satisfaction sans limite des individualités de l’Organisation.
Selon Eugène Enriquez, « ces instances rendent compte de l’appareil inconscient collectif réel et particulier d’une organisation contemporaine. Ces instances fondent un système référentiel, elles donnent à l’organisation contemporaine moderne ses caractéristiques fondamentales réelles et non apparentes, mais dont on voit les effets permanents dans l’organisation effective visible sous forme de déroulement historique de l’activité, des relations et comportements entre les individus et/ou groupes symptômes pathologiques entre individus et entre groupes ».
L’emprise de l’inconscient dans les Organisations
Nicole Saliba-Chalhoub et Christophe Schmitt (https://hal.univ-lorraine.fr/hal-02365678v1/document) explorent la complexité des relations au sein des organisations en s’appuyant notamment sur les concepts freudiens du « roman familial des névrosés » et sur les figures archétypales de l’Enfant-Trouvé et du Bâtard, qui reflètent deux manières opposées d’interagir avec l’autorité et l’organisation.
Ces archétypes permettent de comprendre sous un angle complémentaire les approches habituelles de la complexité. Ils éclairent les comportements, de positifs à négatifs.
Dans une entreprise dirigée par un leader central (l’inconscient collectif s’inscrit encore plus dans ce cas-là), celui-ci est perçu, consciemment ou inconsciemment, comme une figure paternelle, tandis que l’organisation elle-même représente la mère. Les employés oscillent alors entre deux postures :
- L’Enfant-Trouvé : nostalgique et passif, qui peine à s’adapter et tend à se réfugier dans des rêves de reconnaissance ou d’ailleurs, tout en manifestant une certaine résignation.
- Le Bâtard : ambitieux et combatif, qui cherche à s’élever dans la hiérarchie, quitte à user de stratégies parfois agressives pour parvenir à ses fins.
Ces dynamiques influencent non seulement la relation entre les employés et leur dirigeant, mais aussi les interactions entre collègues, où se rejouent des conflits hérités des structures familiales archaïques.
Cette étude illustre en tous points ce qui s’est produit dans une entreprise que nous avons accompagnée.
Le contexte :
PME industrielle de 400 personnes (effectif actuel). Créée dans les années 90 par un homme, Léon, leader autoritaire et visionnaire, selon une organisation très pyramidale. L’archétype de Léon était celui du Leader dominant (animé par le pouvoir, le contrôle et la puissance, incapable de déléguer). 25 ans plus tard, il meurt.
Le N° 2, Paul, rachète l’entreprise. Son archétype est celui du Créateur (veut laisser son empreinte, imagination débordante qui ne permet pas de tout réaliser). Mais Paul est toujours le leader central alors que l’entreprise a doublé ses effectifs. Son management est du type « affectif, laisser faire, entraîneur ». Promoteur, il a 1000 idées à la seconde, les annonce, ses équipes les prennent pour argent comptant mais entretemps il les a abandonnées. Il veut d’autre part être au courant de tout.
L’entreprise manque de structure et de postes clés. Les membres du Codir qu’il vient de créer – il n’y en avait pas sous la direction de Léon – attendent de lui qu’il prenne sa casquette de « boss » (dans l’ensemble, ils sont depuis plusieurs années dans l’entreprise, ils ont connu Léon, très directif).
Dès lors que Paul prend les dispositions pour structurer l’entreprise, les résistances au changement se précisent. Nous retrouvons ainsi les figures archétypales de l’enfant-trouvé et du bâtard, y compris au sein du Codir :
- « C’était mieux avant » : alors que Léon pouvait être parfois humiliant, laissait peu d’autonomie, avec lui « c’était plus clair, on savait où on allait ». Le mythe perdure, malgré le changement de leader. Certains se résignent mais d’autres partent, pour retrouver une structure plus organisée.
- Ou alors, des comportements agressifs, compétitifs, de la part de salariés qui se rallient à la créativité, mais, comme il y a peu de structure, ils jouent des coudes, s’adressent directement à Paul sans passer par leur hiérarchie, se désolidarisent de leurs collègues, … Quant à Paul, il veut à la fois se démarquer de la « méthode Léon » en responsabilisant les salariés, et à la fois, il veut tout contrôler (mais il est Créateur, alors il est partout et nulle part à la fois…). Là encore le mythe du leader fort perdure.
Pour pouvoir accompagner cette entreprise, il a fallu comprendre l’histoire, le mythe, les légendes qui s’inscrivaient dans l’inconscient organisationnel et ont produit des résistances au changement.
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